MARGUERITE DURAS
Écrivaine et cinéaste français, de son vrai nom Marguerite Donnadieu, est née le 4 avril 1914 à Gia Dinh (Vietnam) et est décédée le 3 mars 1996 à Paris (France).
Née près de Saïgon de parents français, et après un séjour à Duras (Lot-et-Garonne) entre 1921 et 1924, elle suit sa famille dans le futur Cambodge et sera marquée à jamais par les mésaventures professionnelles de sa mère devenue veuve. Elle revient en France à partir de 1932 poursuivre ses études et, tout en travaillant, se lance dans l’écriture.
A la fois romancière, scénariste, auteur dramatique, cinéaste, journaliste, Marguerite Duras a construit pendant quarante ans une œuvre qui a fait d’elle une autrice majeure du XXe siècle. Militante communiste, résistante, figure médiatique controversée, sa vie ne peut se concevoir séparée, détachée, de ce qui justement la tient en vie : l’ÉCRITURE.
Que demeure-t-il de son œuvre aujourd’hui ? Une écriture essentielle qui a transformé la structure du roman et inspiré nombre d’autrices contemporaines dont Christine Angot, Camille Laurens ou Marie Darrieussecq. En octobre 2011, Marguerite Duras a fait son entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade.
La Touraine est une région qu’elle a traversée. Au retour d’Indochine, sa mère achète une demeure à Onzain (Loir-et-Cher) et y organise une pension de famille. Son frère Pierre vit à Nazelles-Négron. En 1951, à la Bibliothèque municipale de Tours, Marguerite Duras a été juré du Festival du court-métrage.
Photomaton de Marguerite Duras, 1940. Collection Jean Mascolo
Pendant vingt-cinq ans, les Rencontres Marguerite Duras se sont déroulées à Duras (Lot-et-Garonne). En proposer une version inédite à Tours, en 2025, permettra d’y accueillir d’éminents spécialistes et de faire découvrir l’œuvre de cette illustre autrice à de nouveaux publics.
MARGUERITE DURAS ET LE CINÉMA
L’œuvre de Marguerite Duras au cinéma, à la croisée des chemins entre littérature et image, s’inscrit comme l’un des apports les plus singuliers et novateurs à l’histoire du septième art. Duras n’a jamais voulu faire du cinéma dans le sens traditionnel du terme. Son approche, toujours radicale, a transformé la manière dont l’histoire peut être racontée à l’écran. Son apport ne réside pas uniquement dans la scénarisation ou la direction de films, mais aussi dans sa façon de déstabiliser les conventions de la narration cinématographique.
L’un des premiers marqueurs de son empreinte au cinéma est l’écriture même de ses intrigues. En 1959, elle signe le scénario de Hiroshima mon amour, sous la direction d’Alain Resnais, un film qui s’impose immédiatement comme une révolution esthétique et narrative. Loin de tout naturalisme, le film ouvre la voie à une nouvelle forme de temporalité et de mémoire à l’écran. Duras y explore la fusion des registres intime et historique, du particulier et de l’universel. La rencontre entre une Française et un Japonais sur fond de guerre, de destruction et de douleur, traverse des paysages émotionnels aussi bien que géographiques. Ce film, d’une poésie inouïe, défie les frontières traditionnelles de la narration et de la chronologie. Le thème de l’oubli, de la mémoire et de la réminiscence, si cher à Duras, est au cœur du récit, ouvrant une brèche où la temporalité se fait élastique et disloquée.
Dans ses films, Marguerite Duras conserve cette même volonté de bousculer la forme et les codes. Avec India Song (1975), elle pousse encore plus loin sa réflexion sur le langage cinématographique. Ce film, marqué par une minimalisme radical, conjugue le temps du récit à une spatialité close et oppressante. Le film est un espace clos où les voix, omniprésentes, se font plus réelles que l’image elle-même. Le spectateur est pris dans une matière sonore dense, une partition de silences et de voix intérieures qui se confondent. Le film devient alors un texte visuel et sonore, un déploiement de sens où l’image n’est plus qu’un support à la parole. La subjectivité y est le moteur de toute l’intrigue, à la fois fragile et obsédante.
Le cinéma de Duras se distingue également par une manière unique d’approcher les relations humaines. Le film Le Camion (1977), par exemple, filme avec une intensité presque insoutenable les rapports entre les personnages, leur solitude, leur désir et leurs non-dits. L’espace est déserté, mais la tension des corps et des mots résonne d’une manière implacable. Le cinéma de Duras, loin de toute grandiloquence, est d’une économie de moyens qui fait parler le silence, qui exacerbe le poids du regard, du geste. C’est un cinéma qui semble capturer l’invisible, tout ce qui échappe à la parole mais qui pourtant la structure profondément.
Elle a également apporté une réflexion plus large sur la place de la femme dans la société et dans le récit. À travers des œuvres comme Le Marin de Gibraltar (1981), Duras interroge le désir, la violence, la passion, souvent avec une approche féminine de la subjectivité. L’ombre de la guerre, du deuil, du poids de l’histoire se superpose à la tension amoureuse, dans une mise en scène où les corps se font memento mori et où les sentiments sont inextricablement liés à une histoire collective qui les dépasse.
Le cinéma de Duras se déploie dans une économie de moyens : des plans lents, une lumière tamisée, une économie de dialogue qui rend chaque mot plus lourd de sens. Ce qui frappe, c’est la manière dont la mise en scène restitue le temps et l’espace intérieurs des personnages, leur déchirement et leur solitude. L’ellipse devient un outil de narration : là où le cinéma classique privilégie l’enchaînement des actions et des dialogues, Duras privilégie l’élan émotionnel, la mise en tension de l’espace et du non-dit. Sa caméra capte les infimes mouvements de l’âme, les battements d’un cœur silencieux, comme un lecteur qui scruterait la poésie du monde dans les silences de ses personnages.
À travers son œuvre, Marguerite Duras ouvre ainsi une voie inédite pour le cinéma, où le texte et l’image se confondent, où la parole, plutôt que de servir la narration, devient le centre d’une exploration sensible de l’humain. Son cinéma est celui du non-dit, du temps suspendu, de l’intime et du tragique. En refusant les codes classiques, en mettant l’accent sur la voix, la mémoire et les affects, Duras a permis au cinéma d’élargir ses horizons, de se défaire des conventions, et de se confronter à une réalité plus complexe, plus émotive et infiniment plus poétique.
Ainsi, l’œuvre cinématographique de Marguerite Duras est une invitation à repenser le cinéma comme un art de l’intériorité, où l’image se fait l’écho d’un monde intérieur profond, souvent incommunicable, mais toujours plus essentiel. C’est un cinéma de l’attente, du désir, de la perte, mais aussi de l’éclat fragile de la beauté.
- Hiroshima mon amour
1959 réalisé par Alain Resnais
Le premier grand film dont Duras signe le scénario, une œuvre qui bouleverse la manière de traiter la mémoire et l’intime dans le contexte historique de la guerre. - Moderato cantabile
1960 réalisé par Peter Brook
Duras adapte ici son propre roman, dans une réflexion subtile sur les rapports humains et la passion. - India Song
1975 réalisé par Marguerite Duras
Son premier film en tant que réalisatrice, un cinéma de l’intime et du son, un film où l’absence d’images et la présence de la voix créent une tension unique. - Le Camion
1977 réalisé par Marguerite Duras
Une œuvre minimaliste, où l’espace clos d’un camion devient le théâtre de dialogues entre deux personnages, en un huis clos où tout se joue dans la parole. - Son nom de Venise dans Calcutta désert
1976 réalisé par Marguerite Duras
Un film expérimental où la voix et la présence de Duras elle-même se mêlent à l’image, un voyage poétique et sensuel dans des lieux imaginaires. - Détruire, dit-elle
1969 réalisé par Marguerite Duras
Duras, fidèle à son esthétique singulière, filme la confrontation des corps et des esprits dans un lieu clos, avec un désir d’explorer la souffrance et l’extase. - Les Enfants
1985 réalisé par Marguerite Duras
Ces films témoignent de l’évolution de la démarche cinématographique de Duras, de son exploration des silences, des voix et des corps, mais aussi de sa capacité à repousser les frontières du cinéma classique. Son œuvre est marquée par une recherche constante sur le temps, la mémoire, et l’intime, qu’elle réussit à rendre palpable à l’écran, au-delà des conventions narratives et esthétiques habituelles.
MARGUERITE DURAS ET LA LITTÉRATURE
Marguerite Duras occupe une place centrale et inclassable dans le paysage littéraire du XXe siècle. Son œuvre, traversée de tensions, de ruptures et de silences, s’affranchit des conventions tout en les interrogeant constamment. Elle invente une littérature qui, loin de se réduire à un simple fait d’écriture, devient un laboratoire de la pensée, une exploration des frontières de l’intime, du langage, et de la mémoire. À travers sa prose unique, Duras a offert à la littérature un espace où le non-dit devient aussi puissant que ce qui est formulé, où les silences sont aussi significatifs que les mots, et où l’émotion, brute et souvent douloureuse, se déploie dans une écriture d’une grande économie, mais d’une profondeur inouïe.
L’apport de Duras à la littérature réside avant tout dans sa réinvention de la forme romanesque. Ses premiers romans, tels que Les Impudents (1943) et Le Marin de Gibraltar (1981), laissent déjà entrevoir les fondements de son style singulier. Dès ses débuts, elle se distingue par une écriture qui rejette les conventions narratives traditionnelles, donnant la priorité à l’intériorité, au désordre du vécu, au mouvement disjoint des pensées et des émotions. Il y a dans sa prose une fragmentation du récit, une rupture avec le linéaire et le causal, une volonté de se libérer des contraintes imposées par le roman classique. L’intrigue, souvent réduite à un substrat minimal, devient prétexte à l’exploration de la subjectivité humaine, avec une attention particulière portée aux zones d’ombre, aux ruptures, aux absences.
Dans L’Amant (1984), l’un de ses romans les plus célèbres, Duras tisse un récit où les frontières de l’intime et du collectif s’entrelacent. À travers le souvenir de son adolescence en Indochine, elle dépeint un amour passionnel et interdit entre une jeune fille blanche et un jeune homme chinois, dans une société coloniale marquée par la séparation des races et des classes. Ce roman, qui mêle des éléments autobiographiques à une réflexion plus large sur l’histoire coloniale, la famille, la sexualité et l’identité, se distingue par sa structure fragmentaire, par le refus de toute psychologie linéaire, et par sa narration indirecte qui distille des impressions, des sensations, des bribes de dialogue. Duras utilise le narrateur comme un dispositif qui déconstruit le temps, les repères sociaux et psychologiques, et qui met en relief le poids du désir et de la mémoire.
Ce qui frappe dans L’Amant, comme dans l’ensemble de son œuvre, c’est le rapport ambivalent qu’elle entretient avec le langage. L’écriture de Duras est avant tout une réflexion sur le langage et ses limites. Les mots dans ses romans ne sont pas là pour relater une histoire au sens traditionnel, mais pour ouvrir des espaces, pour dire l’indicible, pour dévoiler des contradictions et des tensions intérieures. Dans Moderato cantabile (1958), par exemple, l’écriture joue sur une forme de répétition et de suspension, où chaque dialogue semble tourner en rond, mais où chaque mot devient un révélateur d’une émotion sous-jacente, d’une violence inavouée. La littérature de Duras est donc marquée par une économie de la parole, une parole qui est en elle-même un corps en tension, une parole qui dit ce qui ne peut être dit autrement.
Au-delà de la question du langage, Duras renouvelle également la réflexion sur le rapport entre l’écrivain et son œuvre. Dans La Douleur (1985), une œuvre bouleversante où elle se livre sur la période de la Seconde Guerre mondiale, elle s’engage dans une réflexion intime et politique sur la guerre, la souffrance, l’absence et la mémoire. Ce récit, qui mêle autobiographie et fiction, s’avère un espace de vérité où la frontière entre le vécu et l’écrit devient poreuse. La Douleur est un texte qui interroge à la fois le processus de l’écriture et le sens de l’histoire, oscillant entre la subjectivité du témoignage personnel et la dimension universelle du drame vécu par des millions de personnes. Loin de se contenter d’une simple chronologie des événements, Duras cherche à saisir les zones d’invisibilité de la guerre, ces espaces où les mots échouent à rendre la souffrance vécue, ces vides où l’écrivain, comme le personnage, doit se frayer un chemin dans le silence et le non-dit.
L’œuvre de Marguerite Duras est aussi profondément marquée par un désir de réinventer la relation entre le corps et le texte. À travers des romans comme Le Ravissement de Lol V. Stein (1964) ou La Vie matérielle (1987), elle s’attaque à la question du désir, de la perte et de la jouissance de l’existence. Ces romans, comme des fragments de vies suspendues, se jouent de la chronologie et de l’identité, et offrent une vision désenchantée, mais d’une grande beauté, de la condition humaine. L’écrivain écrit le corps autant qu’elle l’éprouve, et son corps se fait le réceptacle de l’angoisse et de l’extase, des passions humaines qui restent toujours à l’état de ferveur.
Dans sa démarche littéraire, Duras apparaît comme une démiurge, une écrivaine de l’énigme et du secret. Ses romans ne cherchent pas à « résoudre » des conflits narratifs, mais à en exposer la complexité et la douleur. L’écrivain met en lumière ce qui demeure caché, ce qui se dérobe dans l’histoire des individus et des sociétés. À travers une écriture souvent fragmentaire et elliptique, Duras parvient à rendre compte de la violence des émotions humaines, du poids du passé, de l’irréversibilité du temps. Son art est celui de la déconstruction des évidences, de la mise en lumière de l’irrationnel, de l’invisible. La littérature de Duras, c’est aussi celle d’une subversion silencieuse : la subversion du récit, la subversion de la forme, la subversion des codes sociaux et des conventions littéraires.
L’apport de Marguerite Duras à la littérature ne se limite pas à une simple révision des genres ou des formes. Il s’agit d’un véritable renouvellement du regard porté sur l’écriture elle-même, sur la capacité du texte à dire l’indicible, à explorer les zones d’ombre de l’expérience humaine, à rendre tangibles les silences et les absences. À travers son œuvre, Duras ouvre de nouvelles voies d’expression pour la littérature contemporaine, une littérature qui, loin de chercher à expliquer ou à rendre intelligible, s’efforce plutôt d’exposer l’insondable et de donner voix à ce qui échappe à la compréhension. C’est là, sans doute, que réside le plus grand apport de Marguerite Duras : une littérature qui parle moins de l’histoire que de ce qui, en elle, échappe à la représentation, une littérature qui déjoue la temporalité, les catégories de l’identité et de l’intelligibilité, et qui, au final, propose une expérience du monde plus complexe, plus déroutante, mais infiniment plus humaine.
Bibliographie principale de Marguerite Duras :
- Les Impudents – 1943
Premier roman de Marguerite Duras, qui s’inscrit dans une approche littéraire où la psychologie des personnages et les rapports de classe sont centraux. - Un barrage contre le Pacifique – 1950
Ce roman raconte l’histoire d’une mère et de ses enfants tentant de résister à la misère dans une colonie française d’Indochine. C’est une œuvre forte, où la révolte contre l’injustice sociale est mise en avant. - Les Petits Chevaux de Tarquinia – 1953
Un roman dans lequel Duras explore la rupture amoureuse et la difficulté de la communication. - Le Marin de Gibraltar – 1958
Un roman qui porte sur la quête de soi, l’isolement, et le désir, avec des personnages fascinants et une mise en scène du langage à la fois elliptique et obsédante. - Moderato cantabile – 1958
Un roman qui fait figure de transition dans l’œuvre de Duras, avec un style plus épuré et une histoire d’amour qui évolue entre la passion et l’ennui. - L’Amant – PRIX GONCOURT 1984
L’un de ses romans les plus célèbres, qui explore une passion interdit entre une jeune fille blanche et un jeune homme chinois dans le contexte colonial de l’Indochine. Une œuvre marquante de la littérature contemporaine, mêlant les mémoires personnelles et une réflexion historique. - La Douleur – 1985
Ce livre autobiographique revient sur l’occupation de la France pendant la Seconde Guerre mondiale et raconte l’attente de Marguerite Duras du retour de déportation de son mari résisant Robert Antelme. Ce texte s’inscrit dans un questionnement profond sur le souvenir, la souffrance et l’écriture. - La Vie matérielle – 1987
Un roman où Duras aborde la question de l’existence, de la mémoire et du temps, une réflexion intense sur la vie quotidienne et ses aspérités. - L’Amour – 1971
Ce roman explore la complexité de la relation amoureuse et le désir, avec une économie de moyens qui souligne l’indicible et le non-dit. - Le Ravissement de Lol V. Stein – 1964
Ce roman est l’un des plus expérimentaux de Duras. Il raconte l’histoire de Lol, une femme en proie à des troubles psychologiques liés à une rupture amoureuse. L’œuvre se caractérise par une construction non linéaire et une atmosphère de mystère. - La Pluie d’été – 1990
Dernier roman de Duras, qui poursuit la réflexion sur les thèmes de l’amour, de la perte et de la solitude, avec une écriture toujours aussi épurée et fragmentée.
Quelques autres écrits significatifs :
- Écrire (1993) – Un essai où Duras se livre sur le métier d’écrivain, ses sources d’inspiration et la quête de sens dans l’écriture.
- La Maladie de la mort (1982) – Un texte d’une grande densité où la question du désir et de la souffrance humaine est au cœur de la narration, un récit sur le corps et la solitude.
L’œuvre littéraire de Marguerite Duras se distingue par sa radicalité et son refus des formes traditionnelles. Elle constitue une recherche permanente, une quête inlassable de l’indicible, où l’écriture devient le lieu d’une exploration émotionnelle et existentielle inédite. La force de son écriture réside dans sa capacité à capturer ce qui échappe à la parole, dans la manière dont elle fait du silence et de l’ellipse des instruments essentiels de la narration.